Terrible tout court ou terrible discours ?
Si vous êtes parents ou que vous travaillez avec des enfants, vous avez forcément entendu parler du fameux Terrible two. On parle en fait de la période d’opposition que les enfants peuvent vivre entre 2 et 5 ans environ. C’est pour cette raison que les termes Terrible three, Terrible four ont fait leur apparition, car cette phase n’est pas uniquement présente à 2 ans. Le « Terrible three » et le « Terrible four » (aussi appeler le Fucking four) sont parfois moins connus.
Mais d’où viennent ces termes ?
À l’origine le Terrible two est un malentendu. Dans son livre « J’ai 2 ans », Déborah Cohen-Tenoudji, raconte que, dans un article sur le sujet, la pédiatre Dr Heinz y explique que le terme « Terrible two » a été attribué à la Dr France Ilg. La Dr France Ilg travaillait avec le célèbre pédiatre, psychologue et chercheuse à Yale, Arnold Gesell. Ce terme fait référence à un document « Stages of Development, Age 2 to 7 years » (2008, Gesell Institute) dans lequel les membres de l’institut énumèrent des caractéristiques de développement de l’enfant.
Qu’est-ce que ça signifie concrètement ?
Dans le document de 2008, les âges sont découpés en 6 étapes d’un même cycle. Dans l’étape des 2 ans appelés « Smooth » l’enfant est décrit comme équilibré, avec un tempérament doux, il s’intègre bien à son environnement, etc. A 2 et demi l’étape est appelée « Break up » ou « rupture » en français. L’enfant y est décrit comme déséquilibré, rigide, inflexible, utilise souvent le « non » et « the Terrible tow’s », les « deux terribles ». Les « deux terribles » font en fait référence à deux mots très utilisés par les enfants de cet âge « mien/à moi (mine) » et « non (no) ». Quelques années plus tard, l’expression a été popularisée aux USA, notamment avec la collection des livres Bisounours adaptée à la télévision, qui utilisaient régulièrement l’expression « Terrible twos » pour parler du duo de jumeaux de deux ans. L’expression a ensuite été reprise dans des émissions TV, dans différents livres et petit à petit à gagner l’Europe.
Pourquoi parler de Terrible Two pose problème ?
Il y a plusieurs éléments qui me font dire que ces mots ne sont pas adaptés. Le premier, c’est que l’expression a été détournée de son sens. « Les deux terribles mots utilisés vers deux ans et demi (à moi et non) » sont devenus « les enfants sont terribles à deux ans » ou « les deux ans sont terribles pour les enfants et les parents ».
Deuxièmement, pour les jeunes parents ou les professionnels, cette expression peut créer une grosse appréhension, ils redoutent cette période et pensent qu’ils vont même à en baver. Se préparer au fait qu’en ayant un enfant la vie ne sera pas toujours toute rose, c’est normal et sain. Mais il y a une grosse différence entre se préparer et avoir peur. Si l’on se dit que vivre ou travailler avec un enfant de 2 ans c’est terrible ou l’enfer, on créer ce que l’on appelle de « l’étiquetage ». On attribue à l’enfant des caractéristiques de comportement (déviant) ex : les crises de colère, l’enfant terrible, etc. C’est Howard Becker, sociologue américain, qui a été l’un des premiers à aborder le phénomène de l’étiquetage notamment sur des groupes de personnes marginalisés, mais ça fonctionne aussi pour les enfants. La théorie de Becker part du principe que lorsqu’un groupe de personnes majoritaire (la norme) dit qu’un comportement est déviant (fumer de la marijuana) les personnes qui fument sont vues comme des personnes déviantes. Petit à petit, elles sont isolées socialement et vues uniquement à travers leur comportement déviant et à force elles-mêmes ne se voient plus que comme des fumeurs de marijuana et finissent par « coller » à l’étiquette qu’on leur a donnée.
C’est un peu technique je vous l’accorde, mais si l’on prend l’exemple des enfants de deux ans environ ça donnerait :
La société estime que les enfants d’environ deux ans qui se roulent par terre de colère, tapent, mordent, disent non et ne respectent pas les consignes données par les parents sont des enfants terribles (enfant déviant). A force de penser qu’un enfant de deux ans est ou sera un enfant terrible, les parents, les professionnels (la société), vont voir uniquement le comportement déviant, sans tenir compte du moment où il est sage et applique les règles (comportement dans la norme). L’enfant va donc continuer à avoir des comportements déviants, car il existe aux yeux des adultes ou est pris en compte par les adultes uniquement lorsqu’il fait des choses qui ne sont pas adaptées.
Donc quand on parle de Terrible two c’est d’une certaine manière nous, adultes, qui créons les comportements de l’enfant vu comme déviants. Un enfant sage et bien élevé, c’est le but de tout parent, donc dès qu’il ne correspond pas à cette idée, nos réactions sont parfois disproportionnées. On pense qu’on a échoué, que notre enfant ne pourra pas avoir la vie dont il rêve. S’il n’arrive pas à respecter la simple consigne de mettre ses chaussures, ou accepter qu’il ne puisse pas prendre ce paquet de chips sans se rouler de colère dans le magasin, comment deviendra-t-il un adulte ? Ça voudrait aussi dire, si l’enfant se roule de colère en public, que les gens autour voient que le parent n’a pas d’autorité à ce moment-là sur l’enfant, c’est un mauvais parent.
La société n’est pas tendre avec les parents et les enfants, le Terrible two, three et four en s’ont le parfait exemple. On vous vendra le programme « magique » pour que votre enfant ne fasse plus de crises de colère, et que vous soyez le parent « parfait » pour survivre à la période du Terrible two.
Mais je vous rassure tout de suite, personne n’est mort à cause d’un « Terrible tow » et aucun enfant n’est resté un « Terrible two, three, four » au point de devenir un « Terrible twenty, thirty, forty ».
Vous imaginez si l’on mettait la même pression aux conjoints.es d’une personne qui fait une « crise de la quarantaine » (oui, je ne suis pas fan non plus de cette expression). Si l’on trouvait des milliers d’articles « La terrible crise de la quarantaine, comme y survivre en tant que conjoint.e. Ou encore, si l’on disait :
« Oh, mon dieu, il ou elle va bientôt avoir quarante ans ? Prépare-toi c’est une période terrible, il ou elle va piquer des colères, ne plus respecter les règles, ça va être dur pour toi. Franchement la crise de la quarantaine c’est l’enfer pour tous les conjoints.es ».
Ce serait dur à entendre pas vrai ? Alors, pourquoi le faire pour un enfant d’à peine deux ans ?
La réalité c’est que notre société ne donne pas de temps pour l’enfant de deux ans, il n’a pas le temps d’explorer son autonomie. La plupart des parents n’ont pas le temps de donner l’autonomie dont l’enfant a besoin. Il faut se dépêcher de déjeuner pour aller à la garderie. Il faut se dépêcher d’aller à la garderie pour aller au travail. Il faut se dépêcher de rentrer du travail pour aller récupérer l’enfant. Il faut se dépêcher d’aller faire les courses avant le souper. Il faut se dépêcher de souper pour prendre le bain. Il faut se dépêcher de donner le bain pour coucher l’enfant et pour enfin prendre un temps pour soi. Et je ne parle pas des parents qui gèrent seuls leur vie professionnelle et familiale, ou des familles qui ont plusieurs enfants. Le temps, on en manque déjà quand on est seul et qu’on a que soi à s’occuper… Mais dans ce timing millimétré, l’enfant lui, n’a pas conscience que maman ou papa est fatigué de sa journée, qu’il est triste ou à des problèmes à régler. L’enfant, lui, a seulement envie de pouvoir choisir ce qu’il veut et faire seul, et son moyen de communication principal ce sont ses émotions. Finalement, c’est peut-être plutôt ça qui est terrible, surtout pour un enfant qui n’a pas encore conscience du temps qui s’écoule et qui vit uniquement dans le moment présent.
De plus, la société ne peut pas admettre que son fonctionnement basé sur la valeur du travail et de l’argent ne laisse pas le temps aux enfants et aux parents de vivre cette période sainement. Si l’on ne peut pas gérer ses obligations d’adulte (privées et professionnelles) en ayant un enfant sage et intelligent, on est vu comme un mauvais parent. Personnellement, je ne suis pas d’accord avec cette idée. Un bon parent peut faire des erreurs et ne pas tout réussir à gérer, un « bon » enfant peut avoir des crises de colère au milieu d’un magasin et ne pas respecter les règles qui lui sont données. Avoir peur ou appréhender l’âge de deux ans n’aidera aucun parent ou enfant à mieux vivre cette étape, au contraire, le stress et la peur sont contagieux. À la place, il est possible de comprendre ce qui se passe pour l’enfant, d’anticiper et d’accompagner son évolution tout en se préservant soi.
Qu’est-ce qui se passe pour l’enfant vers 2 ans ?
En réalité, les changements de comportement se mettent en place vers 18 mois. L’enfant entre dans la « phase d’autonomie » aussi appelée « phase d’opposition ». Alors oui c’est effectivement une période qui peut être désagréable à vivre en tant que parent. Elle est difficile à vivre pour deux raisons.
La première est que le parent doit accepter que son bébé, jusqu’à la dépendant entièrement de lui, veut plus d’autonomie, l’enfant veut faire seul et le montre. Au-delà de la notion de temps disponible vu plus haut, ça peut être difficile d’accepter que son « petit bébé » n’en soit plus un, et qu’on ne puisse plus tout décider et faire pour lui.
La deuxième est que pour obtenir cette autonomie l’enfant va s’opposer à son parent, lui dire non, ne pas l’écouter, pleurer, crier et se mettre en colère (phase d’opposition). Ces comportements vont remettre en question l’autorité du parent. Il peut se demander ce qu’il fait faut, se dire qu’il est un mauvais parent, essayer plein de technique différente et peut être ne plus savoir quoi faire. Le parent peut avoir la sensation d’avoir échoué, de ne pas être un bon parent, et de ne pas pouvoir y arriver. Il pourrait se dire qu’il ne pourra pas faire en sorte que son enfant soit accepté en société.
Ces deux processus peuvent créer des émotions très fortes chez le parent, mais aussi chez l’enfant. Et ils peuvent aussi amener à se sentir épuisé.
Cette recherche d’autonomie par l’opposition ne va pas se faire uniquement avec le parent, mais aussi avec toutes les personnes de référence de l’enfant, ceux qui le gardent ou qui s’en occupent régulièrement. Le parent peut se sentir coupable que son enfant ait un « mauvais comportement » avec d’autres adultes, ou avec d’autres enfants par exemple s’il pousse, mord ou tape.
En ce qui me concerne, j’aime appeler cette période « la première adolescence ». Quand on parle d’adolescence, on sait que ce n’est pas une période facile pour l’ado (on se rappelle la nôtre). Avec le recul et la maturité, on sait aussi que ce n’était pas facile pour nos parents. Mais on accepte que ce soit une période importante pour passer de l’enfance à l’âge adulte.
Donc parler de première adolescence pour un enfant en bas âge, permet d’accepter que ce n’est pas une période facile pour lui et pour les parents. Mais qu’elle est nécessaire pour passer de bébé dépendant de son parent à celui d’enfant qui commence à avoir des envies et faire des choix, pour devenir plus tard un adulte indépendant et responsable.
Ce besoin d’autonomie vient « par vague » au fur et à mesure que l’enfant grandit et se développe, à deux, trois, quatre, sept, dix, douze, treize, quatorze, quinze ans, etc. Mais à deux ans c’est la première, et en tant que parents, on peut être surpris, pas prêt et démuni face à son enfant. Petit à petit, le parent va développer des stratégies et des outils qui fonctionnent. L’enfant, lui, aura de plus en plus de facilité à dire ce qu’il veut et pourquoi il réagit ainsi, les vagues suivantes seront donc moins difficiles.
Quelques astuces pour mieux vivre cette période
S’il ne devait y en avoir qu’une, ce serait avoir du temps !
Plus le parent va stresser l’enfant, plus les émotions seront intenses et difficiles à réguler. Avoir du temps à disposition permet de prendre quelques secondes pour expliquer à l’enfant ce qu’on attend de lui, avant de rentrer dans un magasin par exemple. Cela le prépare à ce qu’il va vivre et pouvoir faire.
Mais ce temps disponible permettra aussi au parent de réfléchir après « une crise » pour savoir ce que l’enfant voulait et comment le parent pourra lui laisser la possibilité d’explorer la prochaine fois. Par exemple, c’était la crise ce matin parce qu’il voulait mettre ses chaussures seul. Le lendemain, le parent peut prévoir 5 à 10 minutes de plus pour que l’enfant essaie seul de mettre ses chaussures.
Le temps disponible permettra aussi au parent et à l’enfant de réguler leurs émotions, si c’est la course, les émotions restent. Vous vous êtes fâché le matin et enchaînez toutes vos responsabilités d’adultes et de parent ? Il y a fort à parier qu’à la moindre contrariété avec votre enfant, la colère du matin ressorte et s’ajoute à celle du moment présent. Faites une pause, respirez, trouvez ce qui vous permettra de vous apaiser. Vous aurez beaucoup plus de patience et donc beaucoup plus d’énergie et d’autorité pour aider votre enfant dans cette étape. Grâce à votre patience, votre enfant aura le temps d’exprimer son besoin et de se calmer si nécessaire pour vous écouter.
Le temps ne fait pas tout, il faut que votre enfant puisse essayer, explorer et faire seul il en a besoin, c’est vital pour lui.
Quant à vous, parent, plus vous serez clair dans vos consignes et que vous donnerez suffisamment d’informations à votre enfant sur le déroulement de la journée, plus ce sera facile pour lui de vous écouter.
Bien sûr, il y a plein d’outils, d’astuces et de manière de faire pour se sentir plus à l’aise avec cette période. Vous pouvez d’ailleurs retrouver dans « ressources » un ebook complet sur le sujet ainsi qu’un article sur la « première adolescence ». Mes accompagnements sont aussi là pour vous aider dans cette étape.
En ce qui concerne les professionnels de l’enfance, l’e-book peut aussi être une ressource, ainsi que les formations liées au sujet comme celle sur les manifestations agressives.
En conclusion
Les termes « Terrible two, three, four » bien que très médiatique et vendeur, ne sont pas du tout adaptés pour parler de la période dès 2 ans que vit l’enfant et le parent. Bien au contraire, ils entraînent une peur ou une appréhension de cette étape pourtant si importante pour l’enfant.
Cette période est nécessaire pour que l’enfant devienne autonome et que le parent accepte de lui donner cette autonomie. Elle est essentielle pour que l’enfant comprenne qu’il est une personne à part entière.
Même si elle n’est pas facile, elle est surmontable, en prenant le temps d’accepter et d’accompagner l’enfant dans ses émotions et son autonomie, le parent peut éviter bien des « crises ». En voyant cette période comme une première adolescence, le parent aura aussi la possibilité de mettre la culpabilité légèrement de côté. Il verra que c’est en fait un réel progrès que l’enfant puisse dire non et commencer à faire des choix. Car plus tard, il sera capable de dire ce qu’il veut ou non, et prendre son envol pour devenir un adulte responsable.
Mais surtout, cette étape naturelle ne fait pas de l’enfant un enfant terrible ou du parent un mauvais parent.
Articles et livres
Linda Halverson, B.S, Marcy Guddemi, Ph.D (2008) Gesell Institute of Human Development, Stages of Development, Ages 2 to 7 years, Making Connections Between, The Whole Child and Classroom Learning, https://mail.gesellinstitute.org/p
df/AgesAndStagesHandout.pdf
Déborah Cohen-Tenoudji (2014), J’ai 2 ans, Booklis.
Journet, N. (2009). Outsiders : études de sociologie de la déviance. Dans : Xavier Molénat éd., La sociologie (pp. 93-94). Auxerre: Éditions Sciences Humaines. https://doi.org/10.3917/sh.molen
.2009.01.0093
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